Grâce aux
filles de Mémoire,
J'ai chanté des animaux ;
Peut-être d’autres héros
M'auraient acquis moins de gloire.
Le loup,
en langue des dieux,
Parle au chien dans mes ouvrages.
Les bêtes, à qui mieux mieux,
Y font divers personnages,
Les uns fous, les autres sages :
De telle sorte pourtant
Que les fous vont l'emportant :
La mesure en est plus pleine.
Je mets aussi sur la scène
Des trompeurs, des scélérats,
Des tyrans et des ingrats,
Mainte prudente
pécore,
Force sots, force flatteurs ;
Je pourrais y joindre encore
Des légions de menteurs :
« Tout homme ment », dit
le Sage.
S'il n'y mettait seulement
Que les gens
du bas étage,
On pourrait aucunement
Souffrir ce défaut aux hommes ;
Mais que tous tant que nous sommes,
Nous mentions, grand et petit,
Si quelqu'un d'autre l'avait dit,
Je soutiendrais le contraire.
Et même qui mentirait
Comme Esope et comme Homère,
Un vrai menteur ne serait :
Le doux charme de maint songe
Par leur bel art inventé,
Sous les habits du mensonge
Nous offre la vérité.
L'un et l'autre a fait un livre
Que je tiens digne de vivre
Sans fin, et plus, s'il se peut.
Comme eux ne ment pas qui veut.
Mais mentir comme sut faire
Un certain dépositaire
Payé par son propre mot,
Est d'un méchant et d'un sot.
Voici le fait.
Un trafiquantde
Perse,
Chez son voisin, s'en allant en commerce,
Mit en dépôt
un centde
fer un jour.
«Mon fer ? dit-il, quand il fut de retour.
- Votre fer ? il
n'est plus. J'ai regret de vous dire
Qu'un rat l'a mangé tout entier.
J'en ai grondé mes
gens ; mais qu'y faire ? un grenier
A toujours quelque
trou.» Le trafiquant admire
Un tel prodige, et
feint de le croire pourtant.
Au bout de quelques
jours il détourne l'enfant
Du perfide voisin ;
puis à souper convie
Le père qui
s'excuse, et lui dit en pleurant:
« Dispensez-moi, je vous supplie ;
Tous plaisirs pour moi sont perdus.
J'aimais un fils plus que ma vie ;
Je n'ai que lui ; que
dis-je ? hélas ! je ne l'ai plus.
On me l'a dérobé :
plaignez mon infortune.»
Le marchand repartit
:« Hier au soir,
sur la brune,
Un chat-huant s'en
vint votre fils enlever.
Vers un vieux bâtiment
je le lui vis porter.»
Le père dit : «
Comment voulez-vous que je croie
Qu'
un
hibou pût jamais emporter cette
proie ?
Mon fils en un besoin
eût pris le chat-huant.
- Je ne vous dirai
point, reprit l'autre, comment ;
Mais enfin
je l'ai vu, vu de mes yeux, vous dis-je,
Et ne vois rien qui vous oblige
D'en douter un moment
après ce que je dis.
Faut-il que vous trouviez étrange
Que les chats-huants d'un pays
Où le quintal de fer
par un seul rat se mange,
Enlèvent un garçon
pesant
un demi-cent ?»
L'autre vit où
tendait cette feinte aventure :
Il rendit le fer au marchand,
Qui lui rendit sa géniture.
Même dispute
avint
entre deux voyageurs,
L'un d'eux étant de ces conteurs
Qui n'ont jamais rien
vu qu'avec un
microscope.
Tout est géant chez
eux. Ecoutez les, l'Europe,
Comme l'
Afrique,
aura des monstres à foison.
Celui-ci se croyait
l'hyperbole permise.
« J'ai vu, dit-il,
un chou plus grand qu'une maison.
- Et moi, dit
l'autre, un pot plus grand qu'une église. »
Le premier se
moquant, l'autre reprit : « Tout doux ;
On le fit pour cuire vos choux. »
L'homme au pot fut
plaisant ; l'homme au fer fut habile.
Quand l'absurde est
outré,
l'on lui fait trop d'honneur
De vouloir par raison
combattre son erreur.
Enchérir est plus
court, sans s'échauffer la bile.