Sultan Léopard autrefois
Eut, ce dit-on,
par mainte aubaine,
Force boeufs dans ses prés, force cerfs
dans ses bois,
Force moutons parmi la plaine.
Il naquit un lion dans la forêt prochaine.
Après les compliments et d'une et d'autre
part,
Comme entre grands il se pratique,
Le sultan fit venir son vizir le renard,
Vieux routier, et bon politique.
« Tu crains, ce lui dit-il, lionceau mon
voisin;
Son père est mort; que peut-il faire?
Plains plutôt le pauvre orphelin.
Il a chez lui plus d'une affaire,
Et devra beaucoup au Destin
S'il garde ce qu'il a, sans tenter de conquête.»
Le renard dit, branlant la tête:
« Tels orphelins, Seigneur, ne me font point
pitié;
Il faut de celui-ci conserver l'amitié;
Ou s'efforcer de le détruire
Avant que la griffe et la dent
Lui soit crue, et qu'il soit en état de
nous nuire.
N'y perdez pas un seul moment.
J'ai fait son horoscope: il croîtra par
la guerre;
Ce sera le meilleur lion
Pour ses amis, qui soit sur terre:
Tâchez donc d'en être; sinon
Tâchez de l'affaiblir.« La harangue fut
vaine.
Le sultan dormait lors; et dedans son
domaine
Chacun dormait aussi, bêtes, gens: tant
qu'enfin
Le lionceau devint vrai lion. Le tocsin
Sonne aussitôt sur lui: l'alarme se promène
De toutes parts; et le vizir,
Consulté là-dessus, dit avec un soupir:
« Pourquoi l'irritez-vous ? La chose est
sans remède.
En vain nous appelons mille gens à notre
aide:
Plus ils sont, plus il coûte ; et je ne
les tiens bons
Qu'à manger leur part de mouton.
Apaisez le lion: seul
il passe en puissance
Ce monde d'alliés vivant sur notre bien.
Le lion en a trois qui ne lui coûtent
rien,
Son courage, sa force, avec sa vigilance.
Jetez-lui promptement sous la griffe un
mouton:
S'il n'en est pas content, jetez-en davantage:
Joignez-y quelque bœuf ; choisissez, pour
ce don,
Tout le plus gras du pâturage.
Sauvez le reste ainsi. » Ce conseil ne plut
pas.
Il en prit mal ; et force Etats
Voisins du sultan en pâtirent:
Nul n'y gagna, tous y perdirent.
Quoi que fît ce monde ennemi,
Celui qu'ils craignaient fut le maître.
Proposez-vous d'avoir un lion pour ami,
Si vous voulez le laisser
craître.